Haïti, malgré ses richesses naturelles et humaines, se trouve confronté à une crise alimentaire alarmante. La majorité de la population souffre d’insécurité alimentaire, tandis que le secteur agricole, vital pour l’économie nationale, est en déclin. Cette situation résulte de divers facteurs interconnectés, tels que la mauvaise gouvernance, le manque de politiques cohérentes, la dégradation de l’environnement et l’absence d’assistance technique. Dans cet article, ALLO AGRO / PROMODEV propose une analyse approfondie de ces enjeux et des recommandations pour revitaliser le secteur agricole et protéger l’environnement en Haïti.
La sécurité alimentaire est un défi majeur en Haïti. Selon des études récentes, environ 4,5 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire, dont 1,2 million souffrent de faim aiguë. Ce problème est exacerbé par plusieurs facteurs.
Tout d’abord, la production agricole insuffisante constitue un obstacle majeur. Le pays n’arrive pas à produire suffisamment de denrées alimentaires pour subvenir aux besoins de sa population, ce qui le rend dépendant des importations. Cette dépendance fragilise davantage la sécurité alimentaire, surtout en période de crise. En effet, les systèmes de culture en Haïti souffrent de faible productivité due à des techniques archaïques et un manque de semences de qualité. Les agriculteurs sont vulnérables aux aléas climatiques, et la dégradation des terres, notamment par l’érosion et la déforestation, affecte la fertilité des sols. Les systèmes d’élevage sont également déficients, avec des infrastructures insuffisantes, des soins vétérinaires limités et un accès difficile aux marchés.
Ensuite, l’accès limité à l’eau représente une autre contrainte. L’eau, essentielle à l’agriculture, est souvent rare, surtout dans les zones rurales. La gestion de l’eau est défaillante, impactant négativement la production agricole et limitant la capacité des agriculteurs à irriguer leurs cultures de manière efficace.
Un autre facteur clé est l’absence d’assistance technique. Les agriculteurs, en particulier nos paysans, manquent de soutien technique et de formation, ce qui limite leur capacité à améliorer leurs pratiques agricoles et à adopter des méthodes plus productives et durables.
De plus, la mauvaise gouvernance dans les structures gouvernementales, notamment au sein du ministère de l’Agriculture, complique encore la situation. Une gestion inefficace rend difficile l’élaboration et la mise en œuvre de politiques agricoles efficaces, exacerbant ainsi la crise alimentaire et entravant le développement du secteur agricole en Haïti.
L’insécurité généralisée en Haïti, exacerbée par la présence de bandes armées et d’actes criminels, a des conséquences dévastatrices sur le secteur agricole. Les agriculteurs, souvent menacés ou attaqués, hésitent à investir dans leurs cultures par crainte pour leur sécurité. Cette situation compromet non seulement la production agricole, mais empêche également les agriculteurs d’accéder aux marchés pour vendre leurs produits. L’insécurité limite les déplacements nécessaires pour l’achat de semences, d’engrais et d’autres intrants, et elle décourage même les initiatives de coopération entre agriculteurs. En conséquence, la terre reste sous-exploitée, et le potentiel agricole du pays est sévèrement entravé.
L’accès aux aliments en Haïti est l’un des plus grands défis. Même lorsque des denrées alimentaires sont disponibles, leur coût peut être prohibitif pour une grande partie de la population. La pauvreté est omniprésente, avec plus de 60 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Cela limite la capacité des ménages à se procurer une alimentation suffisante et nutritive.
Paradoxalement, alors que l’insécurité alimentaire est alarmante, de nombreux produits agricoles restent gaspillés. En raison de l’incapacité des producteurs à commercialiser leurs récoltes, de grandes quantités de denrées périssables se détériorent dans les champs ou lors des transports. Les routes, souvent impraticables en raison de la violence et de l’insécurité, rendent difficile l’acheminement des produits vers les marchés. Ce gaspillage non seulement aggrave la crise alimentaire, mais représente également une perte économique pour les agriculteurs et pour l’économie nationale dans son ensemble. Par conséquent, il est urgent d’adresser l’insécurité et d’améliorer les infrastructures de transport pour réduire le gaspillage et permettre aux agriculteurs d’accéder à des débouchés viables.
Les femmes rurales, notamment nos madan sara souvent en première ligne de la production alimentaire et la commercialisation des produits agricoles locaux, sont particulièrement touchées par cette situation. Elles jouent un rôle central dans l’économie locale, mais font face à des obstacles significatifs, notamment un manque d’accès aux ressources, aux terres et aux financements.
Alors que la production nationale est sévèrement menacée, la situation de l’environnement en Haïti est catastrophique. La déforestation, l’érosion des sols et la pollution des eaux compromettent la fertilité des terres et la qualité de vie des populations. De plus, le manque de gestion durable des ressources naturelles aggrave les effets du changement climatique, rendant l’agriculture encore plus vulnérable.
La gestion de l’environnement constitue un enjeu critique en Haïti. L’absence de régulations adéquates contribue à la dégradation des terres et à la pollution. Les déchets s’accumulent dans les centres urbains, en particulier à Port-au-Prince, entraînant des problèmes de santé publique et une dégradation de la qualité de l’eau. La pollution des rivières et des sols compromet la santé des écosystèmes et, par conséquent, celle des communautés qui en dépendent.
La mauvaise gouvernance au sein du ministère de l’Agriculture et du ministère de l’Environnement aggrave cette situation. Le manque de coordination entre les deux ministères empêche la mise en œuvre de politiques intégrées qui pourraient favoriser à la fois le développement agricole et la protection de l’environnement. Ainsi, une approche intégrée est essentielle pour remédier à ces défis environnementaux, afin de garantir un équilibre entre la protection de l’environnement et le développement économique.
Pour sortir Haïti de cette crise alimentaire et environnementale, plusieurs recommandations peuvent être mises en œuvre :
- Renforcement de la gouvernance : Il est crucial de redorer l’image des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement. Une meilleure gouvernance inclut une transparence accrue, une communication claire et une participation des acteurs concernés, notamment des agriculteurs et des organisations de la société civile.
- Mise en place d’une commission nationale de sentinelles : Créer une commission composée de représentants d’organisations paysannes et écologiques permettra d’impliquer tous les acteurs dans le processus de développement socio-économique. Cette commission pourrait jouer un rôle consultatif pour orienter les politiques agricoles et environnementales.
- Amélioration des systèmes d’irrigation : Investir dans des infrastructures d’irrigation modernes et durables est essentiel. Cela nécessite une collaboration entre le gouvernement, les organisations internationales et les communautés locales pour garantir un accès équitable à l’eau.
- Soutien aux femmes rurales (nos madan sara) : Il est vital de reconnaître le rôle des femmes rurales dans la production alimentaire. Des programmes spécifiques doivent être mis en place pour leur fournir un accès à la formation, aux crédits et aux ressources nécessaires pour améliorer leur productivité et leur sécurité économique.
- Transfert du dossier des anguilles : Transférer la gestion des anguilles aux ministères du Commerce, de l’Intérieur et de l’Environnement, avec l’approbation du Premier Ministre, pourrait libérer le secteur agricole. Une autorisation d’exploitation et d’exportation publiée dans le journal Le Moniteur peut également renforcer la transparence et la régulation de cette ressource.
- Promotion de l’agriculture durable : Encourager des pratiques agricoles durables qui respectent l’environnement et préservent la biodiversité est crucial. Cela inclut la formation des agriculteurs sur des techniques modernes et respectueuses de l’environnement.
- Sensibilisation et éducation : Mettre en place des campagnes de sensibilisation pour informer la population sur l’importance de la sécurité alimentaire et de la protection de l’environnement est essentiel. L’éducation des jeunes sur les enjeux agricoles et environnementaux favorisera une prise de conscience collective et une action citoyenne.
8.- Il est urgent de procéder à la désignation d’un nouveau ministre de l’Agriculture et d’un nouveau ministre de l’Environnement, indépendamment de la participation des partis politiques. Cette initiative vise à libérer ces secteurs cruciaux de l’influence politique, permettant ainsi une gestion plus efficace et transparente. Un leadership apolitique dans ces ministères favoriserait l’adoption de politiques basées sur des données objectives et des besoins réels, plutôt que sur des considérations partisanes. Cela garantirait une approche centrée sur le développement durable et l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs et des communautés rurales. En plaçant la compétence et l’expertise au cœur de ces nominations, nous pouvons espérer revitaliser le secteur agricole et protéger l’environnement, essentiels pour la sécurité alimentaire et la durabilité en Haïti.
Tout compte fait, la situation du secteur agricole et de l’environnement en Haïti nécessite une attention urgente. En mettant en œuvre ces recommandations, nous pouvons revitaliser l’agriculture, garantir la sécurité alimentaire et protéger notre environnement. Haïti a besoin d’un renouveau agricole et d’un engagement collectif pour bâtir un avenir durable et prospère. Mobilisons-nous et faisons de la sécurité alimentaire et de la protection de l’environnement une priorité nationale pour améliorer la vie de tous les Haïtiens.
Talot BERTRAND, Ing-Agr./ M.Sc
Spécialiste en Education Relative à l’Environnement
Secrétaire Général de la PROMODEV
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