- Mise en contexte
La situation socio-économique d’Haïti est le reflet d’une histoire complexe et de défis persistants qui ont façonné le paysage rural et agricole. Pour comprendre pleinement les enjeux liés au financement rural et agricole dans ce contexte, il est essentiel de prendre en compte plusieurs facteurs historiques, démographiques, économiques, environnementaux et politiques qui influencent la réalité actuelle du pays.
L’histoire d’Haïti est marquée par des périodes de turbulence politique, de troubles sociaux et de catastrophes naturelles. Depuis son indépendance en 1804, le pays a connu des cycles de gouvernance instable, des dictatures, des interventions étrangères et des crises économiques récurrentes. Ces facteurs ont contribué à une fragilité institutionnelle et à une faible capacité de planification et de mise en œuvre des politiques publiques, y compris dans le domaine agricole et rural.
La démographie haïtienne a connu une croissance rapide au cours des dernières décennies, avec une population qui a plus que doublé depuis 1982. Cette croissance démographique exerce une pression significative sur les ressources naturelles, les infrastructures et les services sociaux du pays, notamment dans les zones rurales où la majorité de la population est concentrée. De plus, la diaspora haïtienne, qui compte des millions de membres à l’étranger, joue un rôle économique et social crucial en tant que source de remises et d’investissements, mais aussi en termes de lien culturel et politique avec le pays d’origine.
Haïti est confrontée à une série de défis environnementaux, notamment la déforestation, l’érosion des sols, la perte de biodiversité et la vulnérabilité accrue aux catastrophes naturelles telles que les ouragans, les inondations et les sécheresses. Ces problèmes sont exacerbés par les effets du changement climatique, qui affectent directement les moyens de subsistance des populations rurales dépendantes de l’agriculture et des ressources naturelles. La gestion durable des ressources naturelles et la résilience aux chocs environnementaux sont donc des préoccupations majeures dans le cadre du financement rural et agricole.
Le secteur agricole joue un rôle crucial dans l’économie haïtienne, en fournissant des emplois, des revenus et des denrées alimentaires essentielles à la population. Cependant, ce secteur est confronté à de nombreux défis, notamment le manque d’investissements, les pratiques agricoles non durables, l’insécurité foncière, les infrastructures défaillantes et les obstacles commerciaux. Pourtant, le potentiel agricole d’Haïti est important, avec des terres fertiles et un climat propice à une grande variété de cultures, ce qui souligne l’importance d’une approche durable du financement agricole pour libérer ce potentiel inexploité.
Le financement rural et agricole en Haïti est confronté à divers défis et contraintes, notamment le manque d’accès au crédit pour les agriculteurs, les coûts élevés des intrants agricoles, les infrastructures financières sous-développées, la volatilité des prix des produits agricoles et les risques liés aux catastrophes naturelles. De plus, les évaluations environnementales sont devenues un aspect crucial du financement agricole, car les investisseurs, les prêteurs et les bailleurs de fonds exigent de plus en plus des garanties de durabilité environnementale dans leurs projets et programmes. Cela crée à la fois des défis et des opportunités pour les agriculteurs et les communautés rurales, qui doivent s’adapter à ces nouvelles exigences tout en continuant à répondre aux besoins alimentaires et économiques de la population.
2.- L’adoption de l’approche de développement des chaînes de valeur par les praticiens
Les 20 dernières années en particulier ont vu l’adoption rapide de l’approche chaîne de valeur par les praticiens et organisations de développement partout dans le monde. Toutes ces organisations ont changé légèrement l’approche afin de l’adapter à leurs propres objectifs, croyances et contextes locaux. En regardant de près le large éventail d’utilisateurs, il semble qu’il existe deux approches différentes, chacune avec un point d’entrée différent et un objectif légèrement différent.
2.1.- L’approche augmentation de la compétitivité
Le point d’entrée de la première approche est celle d’une industrie spécifique ou d’un secteur économique dans un pays en développement. L’accent est mis sur l’amélioration de la compétitivité de toute la chaîne de valeur, en particulier la partie de la chaîne qui est située dans un pays en développement, ou encore les chaînes de valeur appartenant à plusieurs produits qu’un secteur ou une industrie fait (par exemple le « secteur de la mangue » produit de la mangue fraîche d’exportation, de la mangue séchée et de la pulpe de mangue, qui sont des chaînes de valeur différentes en aval). Le but ultime est d’améliorer la part de marché mesurée en valeur d’une chaîne dans un pays par rapport à d’autres pays, et de cette façon accroître les recettes totales de l’industrie. Cela peut se faire soit par l’amélioration de la valeur ajoutée par produit dans le pays, soit par l’augmentation des volumes de vente.
La valeur ajoutée par produit peut être améliorée en délocalisant la transformation des pays développés vers les pays en développement, ou en cherchant des prix plus élevés, c’est à dire par l’amélioration de la qualité, la recherche de différents marchés, etc. L’augmentation des ventes a beaucoup à voir avec les efforts de marketing et le fait d’être compétitifs sur le marché mondial en termes de prix et de qualité. L’hypothèse de cette stratégie est que l’augmentation des profits, par l’augmentation de la production et des volumes de ventes, en plus de la valeur ajoutée dans le pays et de meilleurs prix de vente, aura un effet positif sur l’économie locale, l’emploi et donc éventuellement les niveaux de la pauvreté. En d’autres termes, en augmentant la taille du gâteau (le chiffre d’affaires de l’industrie mesurée en valeur), on suppose que les tranches individuelles du gâteau (les profits aux différents niveaux de la chaîne de valeur) augmenteront également. Les gouvernements, les grands donateurs et les organisations telles que l’ONUDI, la Banque Mondiale et la FAO utilisent cette approche, qu’on pourrait appeler l’approche de la compétitivité. Dans cette approche, l’accent est souvent mis beaucoup plus sur les transformateurs et les exportateurs que sur les producteurs et les fournisseurs d’intrants.
2.2.- L’approche nœud de la pauvreté
Le point d’entrée de la deuxième approche est ce que Navdi (2004) appelle nœud de la pauvreté : un acteur économique unique ou un groupe d’acteurs économiques au même niveau dans la chaîne, qui, soit ne sont pas intégrés du tout dans une chaîne de valeur, soit ont une telle position de faiblesse que leurs revenus sont très faibles. Le but ultime est d’améliorer les revenus de ces acteurs économiques pauvres, en améliorant leur position dans la chaîne de valeur. L’accent est souvent mis plus sur la redistribution des bénéfices dans une chaîne que sur la compétitivité de la chaîne dans son ensemble. Comme tel, il revient en partie au concept original de la chaîne de valeur de Porter qui se concentre sur l’organisation individuelle. Cette approche est généralement dominante parmi les ONG actives dans le domaine, et est en particulier utilisée pour améliorer les revenus des petits paysans. On appellera cette approche l’approche du nœud de la pauvreté. Pendant que l’approche de la compétitivité vise à augmenter la taille du gâteau, l’approche du nœud de la pauvreté vise à accroitre la part de gâteau des pauvres et des acteurs vulnérables de la chaîne.
3.- Les défis
Les défis du financement agricole et rural en Haïti sont nombreux et complexes. Tout d’abord, l’accès au crédit demeure limité pour les agriculteurs haïtiens, en particulier pour les petits exploitants qui représentent la majorité des acteurs du secteur agricole. Les institutions financières ont souvent des critères stricts et des garanties difficiles à fournir pour les agriculteurs, ce qui rend l’accès au financement difficile. De plus, les coûts élevés des intrants agricoles, tels que les semences, les engrais et les pesticides, ainsi que les fluctuations des prix des produits agricoles sur les marchés mondiaux, rendent la gestion financière des exploitations agricoles extrêmement difficile.
Ensuite, les infrastructures financières en Haïti sont sous-développées, avec un accès limité aux services bancaires dans les zones rurales. Les agriculteurs ont souvent recours à des prêteurs informels ou à des coopératives locales pour obtenir du crédit, mais ces sources de financement sont souvent peu fiables et peuvent imposer des taux d’intérêt élevés. De plus, l’insécurité foncière constitue un obstacle majeur au financement agricole, car de nombreux agriculteurs haïtiens n’ont pas de titre de propriété clair sur leurs terres, ce qui limite leur capacité à utiliser ces actifs comme garantie pour obtenir des prêts. En somme, ces défis entravent le développement du secteur agricole et compromettent la sécurité alimentaire et la prospérité économique des communautés rurales en Haïti.
En outre il est important de souline rue le principal défi pour les praticiens du développement des chaînes de valeur est de définir des interventions qui améliorent à la fois la compétitivité de la chaîne de valeur et le secteur dans son ensemble, en plus d’améliorer la situation des pauvres dans la chaîne de valeur. Malheureusement, les chercheurs semblent se concentrer plus sur la composante de la compétitivité, plutôt que sur les stratégies traitant de la répartition inégale et des acteurs spécifiques pauvres. La littérature et l’expérience font défaut sur ce point, et il est donc crucial de comparer et de documenter les différentes approches que les praticiens utilisent pour résoudre ces problèmes.
Bien que l’organisation des producteurs soit essentielle en vue d’améliorer l’efficacité de la chaîne de valeur et d’améliorer la situation des agriculteurs, il demeure un défi de construire des organisations de travailleurs fonctionnelles. Au cours de la dernière décennie, plusieurs ONG ont considéré les organisations de producteurs comme la solution à la majorité des problèmes des paysans. En réalité, organiser des paysans en groupes demeure difficile, cela demande du temps et le succès n’est jamais garanti. Il peut facilement s’écouler dix ans avant que l’organisation se développe suffisamment et puisse améliorer la situation de ses membres. La situation n’est pas différente en Haïti.
La principale difficulté est causée par le manque de capacité, d’initiative et d’entreprenariat, ce qui fait que plusieurs unions sont inefficaces. Les coûts d’opération sont plus élevés que ce que les membres sont prêts à débourser pour les services offerts, et ce, malgré la couverture de la plupart des coûts opérationnels par des bourses offertes par les ONG. Ceci devient plus apparent lors de la commercialisation des récoltes par les exploitants en fédérations. Sans aucun doute, les activités principales des fédérations consistent à l’entrainement, la représentation politique et l’approvisionnement en intrants agricoles, plusieurs considèrent aussi la commercialisation des produits de leurs membres comme étant une tâche centrale.
4.- L’agriculture haïtienne ne peut pas attendre
Pour relever les nombreux défis auxquels sont confrontés les agriculteurs, une approche collective et coordonnée est nécessaire. Les agriculteurs doivent s’organiser et collaborer pour développer des stratégies d’adaptation et de résilience face aux risques environnementaux et économiques. De même, les parties prenantes externes, y compris le gouvernement, les organisations non gouvernementales et le secteur privé, ont un rôle crucial à jouer pour soutenir ces initiatives. Le gouvernement devrait mettre en place des politiques agricoles favorables qui encouragent la production durable, tout en garantissant des droits fonciers sécurisés et un accès équitable aux ressources naturelles, notamment l’eau. De plus, les parties prenantes de la chaîne de valeur, telles que les chercheurs, les entreprises et les organisations de la société civile, peuvent contribuer en partageant leurs connaissances et en développant des solutions innovantes pour relever les défis agricoles. En travaillant ensemble de manière collaborative, les agriculteurs et les parties prenantes externes peuvent renforcer la résilience du secteur agricole et améliorer les moyens de subsistance des communautés rurales en Haïti.
6.- Objectifs et résultats attendus du Briefing
Dans ce contexte, le Briefing de la PROMODEV sur le financement rural et agricole en Haïti vise à examiner de manière approfondie les défis, les opportunités et les meilleures pratiques dans ce domaine crucial. En réunissant des experts, des praticiens, des décideurs politiques et des membres de la société civile, nous espérons identifier des solutions innovantes et durables pour renforcer le secteur agricole
La PROMODEV, en partenariat avec les autres acteurs du secteur agricole, se lance à la recherche et à la sensibilisation en Haïti pour identifier les facteurs clés qui peuvent rendre les chaînes de valeur agricoles plus inclusives pour les pauvres, les femmes et les jeunes et ce, tout en demeurant compétitives.
Spécifiquement, la PROMODEV se propose de :
- Attirer l’attention sur les efforts visant à surmonter les principaux obstacles au financement agricole et rural en Haïti,
- Renforcer la compréhension sur les enjeux du secteur agricole dans le pays
- Favoriser le processus de dialogue vers des pistes de solution à la crise de l’agriculture haïtienne.
- Sensibiliser sur les grands défis pour le renforcement de la production locale
- Accroître l’échange d’informations et d’expertise sur les succès avérés dans le domaine de la sécurité alimentaire
- Faciliter la mise en réseau entre les partenaires de développement.
Résultats attendus
Les décideurs et les partenaires au développement seront mieux informés sur des questions clés de développement rural pouvant contribuer à résoudre le problème de la sécurité alimentaire et de la recherche agricole au bénéfice des producteurs en Haïti. La mise en place d’une plateforme de communication et d’échanges au service des acteurs impliqués dans le développement rural. Les médias auront une meilleure compréhension des questions agricoles, les problèmes auxquels ce secteur est confronté et les interventions nécessaires à entreprendre pour pallier ces problèmes.

Publications
Un stand de publications de revues et livres sera mis en valeur le jour du Briefing. Si vous avez des publicationsà offrir aux participants, la PROMODEV aura le plaisir de les distribuer à travers ce point de vulgarisation des travaux et réalisations.
Les informations fournies avant, pendant et après la quatrième séance du Briefing en Haïti seront publiées sur les blogs des briefings: http://bruxellesbriefings.net / http://haitibriefings.net et sur le site web de la PROMODEV : www.promodevhaiti.org . Un rapport succinct et un reader seront publiés peu après la réunion.